A L'AFFICHE

 

FRANCIS CABREL (2)

interview

Biographie, Discographie




Autres rencontres : Zazie, Georges Chelon


CHORUS: Qu'est-ce qui, selon toi, explique l'extraordinaire cote d'amour dont tu jouis ?
FRANCIS CABREL: Je ne suis pas le mieux placé pour le savoir. De mon côté, je m'applique à faire des chansons. J'ai l'impression que des titres comme "La corrida" ou "Octobre" ont pu émouvoir. Mais à ce point-là, franchement, je ne sais pas trop quoi dire. Ça dépasse un peu tout le monde.
- Il y a une espèce d'adéquation amoureuse...
- J'aime beaucoup la relation que j'ai avec les gens que je croise, qui me parlent, qui viennent voir le spectacle. C'est très naturel, très authentique, en fait. Cela fait des années d'ailleurs que j'essaie d'expliquer que je ne suis pas un garçon compliqué !
- Cinq ans entre deux disques, c'est long. A quoi les as-tu occupés ?
- C'est long, oui et non. A y regarder semaine après semaine, je peux te dire qu'il n'y a pas un mois de trop. Il m'a fallu deux ans pour sortir de Samedi soir sur la terre, pour me vider un peu la tête... Un an après, j'ai repris l'écriture. En gros, tu comptes deux ans de tournée et deux ans d'écriture. Au milieu, il reste une année où j'ai pu penser à être père de famille, conseiller municipal, où j'ai eu du temps, quoi.
- On t'a souvent entendu protester contre le fait que l'on passe trop souvent tes chansons à la radio, au détriment de celles d'artistes moins connus. Est-ce à dire qu'il faudrait revoir la question des quotas ?
- Il faudrait des quotas non pas par artistes, mais par genres. Initialement, la loi était juste : on veut 40 % de chanson française et, à l'intérieur de ça, il faut qu'il y ait 50 % de nouveautés, c'est-à-dire d'artistes débutants. Mais au dernier moment, cette loi a été maquillée en "nouveautés ou nouvelles productions", sous la pression de lobbies très forts qui tiennent les radios privées. Si bien que mon disque est considéré comme une nouvelle production... alors que c'est loin d'être une nouveauté puisqu'il y a vingt ans que j'exerce ce métier.
- Tu écris souvent des chansons au contenu social évident, mais tu n'aimes pas trop le mot "engagé". Tu lui préfères le mot "concerné"...
- Oui, j'aime ce mot-là. Celui d'inquiet ou de préoccupé, aussi... Un peu comme les journalistes sont inquiets et préoccupés par certains problèmes et les dénoncent dans des articles. La chanson est pour moi un moyen de communiquer des sentiments. Ça peut être la bonne humeur mais aussi, quelquefois, l'occasion de mettre le doigt sur ce qui ne va pas.
- S'il y a quelqu'un qui semble équilibré, serein, c'est bien toi. Or, la tonalité de certaines chansons, tes engagements dans nombre de domaines, traduisent ce que l'on peut appeler une inquiétude...
- Je suis naturellement inquiet, c'est vrai, du bon équilibre des choses, de la bonne intelligence entre les individus. Je m'interroge. Il manque beaucoup d'harmonie au monde dans lequel on vit. Je me fais du souci pour mes enfants. Que va-t-il se passer exactement.? Grave question. Sinon, dans ma vie d'artiste, je n'ai aucune espèce d'inquiétude.
- On te retrouve régulièrement dans des aventures solidaires, comme Sol en si ou Les Restos du coeur. Compte tenu des sollicitations, qui doivent être innombrables, comment opères-tu tes choix ?
­ Pour Sol en si, c'était sur le double critère du projet artistique et du montage financier. Il y avait un très beau plateau dans lequel je n'avais plus qu'à me glisser... comme dans un bon bain. Tout était tendu vers l'idée de ramasser beaucoup d'argent pour les enfants atteints du virus du sida et les familles concernées. Pour Les Restos du coeur, c'est vrai que je suis préoccupé par la pauvreté ordinaire, la misère galopante. D'où mes projets avec le Secours Populaire, Emmaüs, etc.
- Es-tu engagé aussi dans d'autres combats, d'ordre moins médiatique ?
- Oui. Mon épouse et moi-même sommes engagés dans des actions que l'on choisit en fonction de l'urgence de telle ou telle situation...
- C'est sans doute au nom de cet engagement citoyen que tu es devenu conseiller municipal d'Astaffort. Un jour, n'aurais-tu pas envie d'en être le maire ?
- On me l'a demandé. C'était même la première intention, en 1989, lorsque je me suis inscrit sur une liste. Mais je ne veux pas aller plus loin que conseiller, parce que c'est déjà beaucoup de travail. Je mène en parallèle une vie familiale et artistique quand même assez prenante. Et je me rends compte que le boulot de maire, c'est vraiment quelque chose à temps plein.
- Ton créneau, ce sont les affaires culturelles ?
- Plus spécialement culturelles et sportives, oui. Mais en fait, dans une petite ville de 2000 habitants comme Astaffort, tout le monde s'occupe un peu de tout: des bâtiments publics, de la commission des finances. Tu es une sorte de touche à tout, quoi, et c'est ça qui m'intéresse : ne pas être confiné dans le rôle du cultureux local, mais être embringué dans un effort collectif au service de la vie de tout le monde.
- Est-ce qu'à Astaffort, tu es un simple citoyen ?
- A Astaffort, mes relations avec mes voisins, mes concitoyens, sont plus naturelles qu'ailleurs. C'est le seul endroit au monde où je peux me promener tranquillement, où l'on me regarde comme quelqu'un du pays, normal, ordinaire.
- Es-tu obligé, malgré tout, de te protéger des curieux en visite ?
­ Ça arrive. Maintenant, Astaffort est un village qu'on visite... Je sens bien que je fais l'objet d'une curiosité, comme une sorte d'attraction. Mais bon, c'est très saisonnier. On n'est pas tellement une région touristique. Cela reste donc dans les limites du supportable.
- Comment tes deux enfants vivent-ils ta célébrité, notamment à l'école ?
- Aurélie, qui a douze ans, commence à trouver cela gênant. Elle est en cinquième au collège, et ça bavarde autour d'elle... La petite, Manon, a huit ans. Elle voit bien certaines choses, mais ça lui passe encore un peu au-dessus de la tête ; ça ne l'intéresse pas trop.
- Tes relations avec elles ne se compliquent-elles pas du fait que tu es une star dans le regard des autres ?
- Non. Je leur ai toujours montré que je pratique un métier normal, ordinaire. C'est vrai que, de temps en temps, je suis obligé de partir, comme peut le faire un représentant ou un homme d'affaires. Mais je ne quitte jamais la maison plus de cinq-six jours d'affilée. Quand je pars au Québec, je rentre le samedi. J'ai organisé ma vie pour être là quasiment tout le temps. Comme j'ai peu bougé durant ces trois ou quatre dernières années, la petite m'a toujours vu à la maison. Mais la prochaine tournée va être dure pour elle. Elle va être à l'âge de se demander pourquoi je suis autant absent.
- Là où tu vis, tu te retrouves très vite dans les champs. Est-ce que tu as des activités de gentleman-farmer ? La chasse, la pêche ?
- Je ne chasse pas, je ne pêche pas, mais j'élève certains animaux. J'ai des ânesses, quelques vieilles juments et quelques poules. Je cultive un petit bout de jardin par-ci par-là. Je m'amuse à ça, quoi. En fait, je reviens vers la vie que menaient mes grands-parents.
- Astaffort, pour toi, c'est l'alpha et l'omega de ta vie ; l'endroit où, comme dit le poète, tu as choisi de vivre le reste de ton âge ?
- Je crois pouvoir déjà répondre que oui... Je suis en train de m'installer, justement. Cette année, j'ai planté deux hectares de vigne et je vais certainement étendre ça. De la vigne il y en a eu beaucoup chez nous au début du siècle, mais on en a arrachée pas mal quand il y a eu la crise, encouragés qu'on était par des primes... A présent, on recommence à planter. La conjoncture est assez bonne. On n'est pas loin du buzet, qui marche fort. On n'est pas loin du duras, qui marche pas mal aussi. Nous, on a un petit vignoble que personne ne connaît, qui s'appelle le brulhois, un nom assez moyenâgeux. On fait surtout du rouge.
- Tu as la passion du vin ?
- Oui [rire], ce sont des plaisirs qui arrivent avec l'âge ! Une bouteille de vin, un samedi, avec quelques potes, garçons et filles, c'est super.
- Tu as une belle cave ?
- Ça commence. Pour le moment, elle est éclectique ; j'en suis à choisir mes préférences. J'ai acheté un peu de tous les vignobles. Pas les grands crus, mais pour essayer de goûter un peu les tendances, les goûts qui se dégagent. Mais, chez moi, c'est plutôt bordeaux...
- Tu as une autre passion, ce sont les guitares...
- Je joue de la guitare depuis que j'ai quinze ans. C'est véritablement un instrument qui m'est intime. Je le travaille deux ou trois heures par jour ; deux lorsque je n'ai pas trop d'énergie ! Sur mon dernier album, j'utilise une dizaine de guitares différentes et Denis Lable cinq ou six autres... Pour ce qui est de mes guitares personnelles et de scène, je les fait faire par des luthiers français, qui sont devenus des amis. L'un, Alain Quéguiner, est un Breton de Paris. L'autre, Frank Cheval, est dela région de Lyon. Des guitares de collection, notamment beaucoup de guitares jazz des années 50, j'en ai une cinquantaine. Je les achète aux Etats-Unis, sur catalogue, ou en France, à des gens qui s'en séparent.
- Des guitares plutôt acoustiques ?
- Beaucoup de guitares électriques aussi. Ma plus belle pièce est une Gibson Les Paul Goldtop de mon âge, elle est née en 53 ou 54.
- Musicalement, quelles sont tes références de base ? En dehors de Bob Dylan et de James Taylor que tu as souvent cités...
- Oui, ils m'ont vraiment appris à jouer. Il y aussi Neil Young, qui a exercé une très forte influence sur moi. Sinon, depuis peu, j'écoute des musiciens plus jazzy, comme George Benson, Wes Montgomery, qui jouent de la guitare comme des virtuoses.
- Les disques que tu écoutes lorsque tu en as un peu marre de tout ?
- Harvest, de Neil Young ; Gorilla, de James Taylor ; Blonde on blonde, de Bob Dylan. Je les écoute vraiment très souvent.
- Il paraît que tu es capable de chanter tout Dylan...
- [Rire] C'est vrai ! Je connais tout Dylan par coeur ; phonétiquement souvent. Je ne sais pas toujours exactement ce qu'il raconte, car il a un anglais très riche.
- Peut-on rêver à un disque de reprises du style Aufray chante Dylan ?
- J'y pense souvent, oui, mais Dylan c'est vraiment un client ! Le traduire ou l'adapter sans le trahir, c'est compliqué. Quasiment une thèse de doctorat !
- Dans chaque album, ou presque, tu places une reprise. Pourquoi ici le "I've been lovin' you too long" d'Otis Redding, devenu "Depuis toujours" ?
- Parce que c'est une chanson absolument mythique dans ma vie. J'ai grandi avec elle. Dans mes premiers groupes, quand j'avais quatorze ou quinze ans, je l'inscrivais à mon répertoire. Je chantais aussi des trucs de James Brown. Pourquoi Otis Redding, et pas Dylan ou Cohen ? Parce que ce titre était plus dans l'idée du blues qui sous-tend le disque. Cela tombait sous le sens... et sous les doigts !
- Comment perçois-tu la relève de la chanson française, toi qui organises à Astaffort des rencontres dans le but d'aider à révéler des nouveaux talents ?
- Il y a des artistes qui s'affirment d'année en année, comme Clarika, Mathieu Boogaerts, Miossec, Blondin... Ça, c'est la relève intéressante, je dirais. Après, dans la grande variété, il y a toujours des gens qui passent la rampe un moment, puis qui disparaissent... Il faudrait réactiver le réseau des petites salles, des cafés-concerts. En leur donnant les moyens. Il faudrait vraiment qu'on se penche là-dessus avec la Sacem, l'Adami. Comme les radios sont "prudentes", qu'elles passent toujours les gens confirmés, il faut un circuit parallèle où les jeunes puissent s'aguerrir.
- Tu as dit un jour : "Je veux juste que le succès me donne du temps. Je rêve de passer des journées à ne rien foutre." C'est un éloge de la paresse ?
- Il est vrai que je veux que le succès me donne du temps. Mais là, je me suis peut-être laissé emporter ! Pour moi, une journée "à ne rien foutre", c'est un peu une journée perdue. En disant ça, je pensais plutôt à la journée passée à lire et à jouer de la guitare. Si c'est ça ne rien faire, alors d'accord... En ce moment, je lis beaucoup ; c'est un passe-temps qui me repose.

Propos recueillis par Jean THÉFAINE
Contact scène : Loulling System, 11 cours Aristide-Briand, 69300 Caluire
(tél. 04.72.27.06.49, fax 04.78.23.30.37).

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