Il y a fort à parier que l'on dira désormais « le Dillaz » - « regarde dans le Dillaz », « il faut que je vérifie dans le Dillaz »... Avec la parution en novembre dernier du second volume de Vivre et chanter en France, notre confrère Serge Dillaz achève une entreprise singulière (débutée en 2003), unique dans l'édition française et pourtant évidente. Car, on le sait, il est peu de pays qui, comme le nôtre, savent tout mettre en chanson : la construction européenne et les photos de famille, l'immigration et le dépucelage, les traumatismes de l'enfance et les privatisations, l'amour et la politique

Serge Dillaz a choisi de traverser notre histoire politique, économique, sociale et culturelle depuis la Libération en scrutant le foisonnement incroyable des noces perpétuellement recommencées de la chanson et de la réalité collective. Il commence son second tome de Vivre et chanter en France par ce 10 mai 1981 dont, sur le coup, chacun pense qu'il va changer la vie, pour courir jusqu'à l'aube de la dernière campagne présidentielle, « actualité » qui fait déjà partie de l'Histoire.
L'auteur débusque la société derrière les grands classiques de la chanson « à texte », les créations exigeantes entendues seulement dans les « petits lieux », mais aussi les tubes massivement diffusés : « Il n'y a pas de chansons insignifiantes. Même la plus bête, la plus futile, témoigne de l'air du temps. Toutes les chansons sont engagées, que ce soit la plus militante ou la plus sentimentale. Car, quand on exprime quelque chose, c'est toujours par rapport à des valeurs, à une situation historique... Avec Petite fille de Français moyens, Sheila s'engageait aussi. »
Ce n'est pas un hasard si cet exemple vient à l'esprit de Serge Dillaz : ses années de formation à la chanson - la prime adolescence, donc -, ce sont les années du triomphe des yéyés : « J'ai découvert la force fédératrice de la chanson à cette époque, mais aussi son pouvoir économique. Pourtant, je n'écoutais pas les yéyés. Brel ou Brassens me semblaient évidemment avoir plus de tripes. » Tout au long de sa vie d'amoureux de la chanson, jamais ce qu'il aime n'a vraiment été l'expression dominante dans le paysage audiovisuel, tant il est vrai que « la société brime une chanson qui est l'expression des douleurs et des joies d'un public plus large qu'on ne le dit. Mais est-ce nouveau ? Il faut se méfier de l'idée d'un passé forcément meilleur. J'ai essayé de replacer la chanson dans le contexte de l'époque, de ne pas la voir avec mes yeux d'homme du XXIe siècle. Car le temps passe vite ! » Il se souvient ainsi des deux France affrontées du Je vous salue Marie de Serge Lama et des Braves gens d'Antoine Candelas, d'Une femme, ma fille de Michel Sardou et de Rebelle de Valérie Lagrange
Première surprise : « Toutes les périodes sont riches, je n'ai pas trouvé de creux dans la vague chansonnière. J'ai toujours trouvé de la matière pour accompagner le cours du récit. »
Les artistes les plus cités dans ce volume ? « Léo Ferré, Michel Sardou, Jean-Jacques Goldman, Alain Souchon (l'auteur qui selon moi parle le mieux de la société)
Et puis Charles Aznavour et Pierre Perret, qui s'intéressent de plus en plus aux faits de société, comme le montrent bien leurs derniers albums. L'un venait d'un registre sentimental, l'autre d'un genre égrillard et ils s'intéressent de manière ouverte à la société d'aujourd'hui en prenant position. » Il n'élude pas la question de l'engagement et note que « depuis une vingtaine d'années, dans la chanson comme dans le reste de la société, le militantisme se perd, les doctrines s'émoussent. On s'engage de manière humanitaire, et de moins en moins à la manière de l'engagement politique des années 70. » Et, parmi les chansons citées dans son livre, on rencontre beaucoup de textes de rap : « Le rap m'intéresse au plan sociologique. Mais dire qu'il est le seul à porter un message politique est une imposture. La chanson continue de 'dire', de signifier des choses importantes. Le rap est simplement la prise de parole d'une jeunesse à qui l'école ne l'a pas donnée. Il appelle un chat, un chat, même si souvent sa virulence n'est qu'un système pour gagner du fric, ce qui est aussi un reflet des banlieues. »
Avec son maelström de citations (les deux tomes évoquent plusieurs centaines de titres), ses avalanches de références (« j'ai moi-même découvert beaucoup de chansons pendant mes recherches »), le Dillaz est à la fois une histoire à lire de manière linéaire et un livre à picorer. Une ambition ? « Donner au lecteur l'envie d'aller plus loin, vers d'autres interprètes, d'autres créations. »
L'AUTEUR
Membre du Comité de rédaction de Chorus, Serge Dillaz - dont le tome 1 de Vivre et chanter en France a enthousiasmé nos confrères à l'affût de l'originalité (« Un outil d'investigation sociale pour décrypter notre quotidien », Marianne ; « Impossible de passer à côté de cet ouvrage », Les Dernières Nouvelles d'Alsace ; « Se lit comme un roman », Le Provençal... ) - est aussi l'auteur, notamment, de La Chanson française de contestation et de La Chanson sous la Troisième République, autres ouvrages de référence sur l'histoire et la sociologie chansonnières.
« Vivre et chanter en France », tome 2, par Serge Dillaz
410 pages, avec d'importantes annexes (repères chronologiques, index, bibliographie
),
format 153 mm x 235 mm.
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